Depuis une vingtaine d’années, l’agriculture urbaine connaît un véritable engouement, porté par des citadins friands de produits locaux. Dans cette mouvance, le conseil régional a alloué début février un milliard d’euros destiné à favoriser, d’ici 2030, l’alimentation locale en Île-de-France. Sans songer à revenir au temps où la capitale était entourée de champs et de vergers, certains souhaitent une agriculture « made in Paris ». Une possibilité et une réalité à petite échelle dans une ville de plus en plus verte, mais qui demeure une utopie pour beaucoup. Peut-être une « réalité utopique » ?
Guide écrit par:
Corentin, Brand Manager, Paris
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Une tradition oubliée de Paris à ses périphéries
Pourquoi réserver exclusivement à nos campagnes le droit à l’agriculture ? Les petits Parisiens et autres citadins n’auraient-ils pas, eux aussi, la possibilité de cultiver fruits et légumes ? Si le désir est évident — il suffit de faire un tour chez Truffaut ou Leroy Merlin pour s’en convaincre — la pratique fut longtemps une totale utopie, à part quelques herbes aromatiques, framboises ou tomates cerises sur un coin de balcon.
Pourtant, Paris et sa périphérie furent longtemps une terre d’accueil, et ce jusqu’à la révolution industrielle. En 1900, Bagnolet et Montreuil produisaient quinze millions de fruits par an, transportés jusqu’aux Halles à dos d’homme ou de cheval. Des carrières accueillaient l’éternel champignon de Paris, l’asperge d’Argenteuil, les pois de Clamart ou les pêches de Montreuil, véritables références gastronomiques. Les « agriculteurs urbains » de l’époque se plongeaient avec délice dans le Manuel pratique de la culture maraîchère de Paris, ouvrage signé Moreau et Daverne, édité en 1845. « Du Moyen Âge au début du XXe siècle, le premier cercle de production était très proche, voire inclus dans la ville. À partir du XVIe siècle, la ville s’étend, l’aire de production aussi, et une hiérarchie se développe : les villages d’Arcueil, de Montreuil ou de Vaugirard approvisionnaient directement Paris, même si une part de la production venait encore de Paris intra-muros, où les étables, les jardins et les treilles étaient toujours nombreux… » évoquent les auteurs de Une métropole à ma table, publié en février 2017 par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Île-de-France.
Entre héritage et renouveau
Malgré ses terres fertiles, Paris — comme d’autres grandes villes — découvre la révolution industrielle. Le transport des marchandises, les modes de conservation des aliments, l’arrivée des produits chimiques, les grandes exploitations, puis, apothéose, la naissance de la Politique agricole commune européenne, qui sonnera le glas de l’agriculture locale. Les figues d’Argenteuil ne pourront plus concurrencer celles venant d’exploitations du sud de la France. La majeure partie du vingtième siècle ne sera pas plus encline à (re)mettre du vert dans une ville dédiée à la voiture, où le gouvernement en place en 1964 voulait faire du canal Saint-Martin une autoroute urbaine. À la fin des Trente Glorieuses, seules les vignes de Montmartre ou les ruches du Jardin du Luxembourg, installées en 1856 — toutes deux encore actives — faisaient l’écho d’un passé agricole parisien. Aujourd’hui, quelques souvenirs demeurent, comme la Rue des Maraîchers, à quelques minutes de Deskopolitan Voltaire…
Il convient de ne pas refaire l’histoire. Le Grand Paris d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui du temps jadis. Les immeubles — dans une ville où le mètre carré est en moyenne à 10 000 € — poussent comme des champignons et ont remplacé très logiquement les espaces cultivables. Pourtant, depuis quelques années, associations, collectifs de riverains, élus ou entreprises se réapproprient certains espaces encore libres ou en créent de nouveaux pour que vive l’agriculture urbaine. Pour Marion Eynius de ALMA, c’est une évidence :
« La question ne se pose même plus ! Il y a aujourd’hui 30 hectares de fermes sur les toits de Paris, sans compter les friches et sous-sols qui peuvent également être exploités pour l’agriculture »
Réinvention des toits et des espaces urbains
Ce revirement sociétal a débuté à la fin des années 90, d’abord aux États-Unis et à Berlin. Outre-Atlantique, c’est à Détroit qu’une trentaine de personnes commencent à repenser la ville, récemment abandonnée par les principaux constructeurs automobiles. En 2005, une grande partie des friches industrielles devient le nouveau poumon de la ville après que le maire Coleman Young ait autorisé les résidents à cultiver. Aujourd’hui, 1 600 fermes urbaines mobilisent et emploient près de 16 000 personnes. Après Détroit, Berlin, New York, Montréal, Paris… accueille cette agriculture urbaine, qui représente désormais près de 70 millions d’hectares cultivés dans les principales villes de la planète. L’agriculture urbaine devient un enjeu économique et politique. Les raisons sont multiples et s’agitent dans le shaker écolo : combattre la malbouffe, les productions intensives, le transport de certains fruits et légumes par avion avec leur impact sur l’environnement. Que des champignons de Paris proviennent de Pologne… Le public ne semble plus l’accepter. Revenir à des produits bio, locaux et sains… Tout le monde apprécie, mais ce n’est pas si simple, car à Paris, les sols disponibles ne sont pas tous exploitables. « Certains sols d’anciennes friches ou de jardins publics implantés sur d’anciens sites industriels sont pollués et regorgent parfois de métaux lourds. Cela implique de sérieuses analyses pour certains produits consommables comme les légumes-racines », évoque Paul Kozlow, paysagiste, apiculteur, fleuriste et surtout passionné d’agriculture urbaine (Horticus, 22, rue Yves Toudic, 75010 Paris).
D’où le concept d’aménager certains toits de la capitale avec un terreau sain et fertile, sans empiéter sur des espaces au sol, de toute manière indisponibles. Parmi les 30 hectares qui surplombent Paris, un lieu est en passe de devenir un référent en la matière : le toit du pavillon 6 de Paris Expo, Porte de Versailles. Une ferme urbaine de 14 000 m², l’une des plus grandes au monde. Le gestionnaire Viparis s’est associé avec Agripolis, l’un des spécialistes du secteur, pour offrir à une vingtaine de maraîchers un espace pour produire plus de mille fruits et légumes issus d’une trentaine d’espèces différentes.
« Cette ferme urbaine alimentera aussi les habitants du sud de Paris et des communes limitrophes directement ou par le biais de la distribution, des restaurations collectives et des hôtels «
– Pascal Hardy, fondateur d’Agripolis
Une nouvelle fois, nombreux sont ceux qui applaudissent et cherchent à exploiter des espaces vacants.
Utopie ou réalité ?
Dans un esprit plus social, l’association Vergers Urbains a, depuis 5 ans, pour vocation de rendre la ville comestible en impliquant les citadins dans ses projets. Trottoirs, pieds d’immeubles, toits, friches urbaines, balcons, écoles, jardins ou vergers partagés… des espaces ouverts et communs (de 1,5 m² à 8000 m²) pour la plupart gérés par des collectifs d’habitants. « Notre objectif est de valoriser ces espaces verts en les rendant comestibles, à travers une appropriation collective », précise Sébastien Goelzer, urbaniste spécialisé en permaculture urbaine et co-fondateur de l’association. Vergers Urbains a débuté au sein du quartier de la Chapelle à Paris et compte aujourd’hui plus de soixante-dix projets à son actif. Tous cherchent à redonner du vivant à la ville avec, en fond, une prise de conscience écologique, un besoin de mettre la main à la pâte, ou plutôt dans la terre, de manger mieux, local et sans pesticides. L’envie de rappeler aux petits Parisiens qu’une carotte pousse dans la terre, comme naguère Jean-Pierre Coffe démontrait aux enfants que les poissons n’étaient pas rectangulaires.
Les détracteurs de l’agriculture urbaine mettent en avant la pollution, certes très présente en ville et déjà évoquée ci-dessus. Un véritable inventaire à la Prévert : oxydes et monoxydes d’azote, dioxyde de soufre, hydrocarbures, plomb… Si certains sols demeurent pollués depuis des années, la politique de la Ville de Paris prône le « zéro phyto » dans les jardins et autres espaces verts, terrains privilégiés des abeilles. S’ajoute à cela qu’éloignées des pots d’échappement des voitures, les cultures sur toits sont peu polluées. Ce n’est pas la panacée, mais c’est rassurant pour les fruits et légumes, mais également pour le miel, celui de Paris étant, pour de nombreux observateurs, plus sain qu’ailleurs. Paul Kozlow, à la tête de deux ruchers à Paris, acquiesce : « Dans les années 90, il y a eu un engouement de la part des entreprises voulant verdir leur image avec des ruches. Le problème n’est plus l’absence de pesticides, mais le nombre désormais trop important de ruchers : 700 en 2015, 2500 en 2019 ». En effet, pour le bien-être des insectes pollinisateurs, abeilles en tête, il faudrait de 1 à 3 ruches par km². Paris mesurant 100 km², le calcul est rapide. Une agriculture urbaine intensive à Paris, un comble !
Après le sol et les toits, n’omettons pas les nombreux sous-sols accueillant certains produits agricoles. Parmi eux, La Caverne, une ferme urbaine bio de 3500 m², implantée dans l’ancien parking Raymond Queneau dans le 18e arrondissement. Pleurotes, shiitake (un cèpe japonais), endives, jeunes pousses et… champignons de Paris y sont cultivés sans engrais, OGM ou pesticides.
L’année 2020 fut pour beaucoup l’occasion d’un retour à la nature, de réconcilier ville et campagne et, confinement oblige, « donner du temps au temps » comme l’écrivit Miguel de Cervantès dans Don Quichotte. Alors, utopie ou réalité ? « Aujourd’hui, le but est essentiellement de faire redécouvrir aux citadins des produits de qualité avec du goût. Il y a donc une partie pédagogique », évoque Marion de ALMA. « Notre but et celui des fermes présentes dans la capitale n’est pas de nourrir la ville ». Ce que confirme Paul Kozlow : « L’agriculture urbaine, c’est souvent un fantasme car il faut bien de vrais producteurs pour assurer le volume. Il y a certes des choses à faire, mais c’est essentiellement pour le fun… au vu du prix d’un kilo de carottes ! ». Nous sommes bien au cœur d’une utopie qui, à petite échelle, est devenue réalité.
5 questions à Alice et Marion fondatrices d’ALMA
Végétalisation, boutique, atelier, visites de fermes urbaines… ALice et MArion ont créé ALMA, une entreprise qui leur ressemble dédiée à l’agriculture urbaine.
1/ Comment est née ALMA « Grown in town » ?
« Nous étions amies, Alice a lu un article sur des potagers aménagés sur des toits de New York. Je travaillais (Marion) sur un dossier de végétalisation pour la Ville de Paris… Rapidement nous nous sommes passionnées pour le sujet ».
2 / Avez-vous du affronter un certain scepticisme ?
« Pas beaucoup et aujourd’hui… plus du tout ! Les gens sceptiques ont bien vite compris que nous n’avions pas l’intention de vouloir nourrir la ville tout entière ! ».
3 / Comment expliquez-vous l’engouement des gens des villes pour cette forme de retour à la terre ?
« C’est un besoin ! L’envie de retrouver la nature, l’équilibre et d’avoir une ville avec plus de vert et de végétal… et moins de béton ! »
4 / Votre constat après 3 années d’existence ?
« La confirmation d’une grande appétence des gens pour le vert et le vivant… De comprendre comment pousse une carotte et qu’une tomate cueillie et mangée le jour même n’a pas le même gout. »
5/ À l’horizon 2030, comment voyez-vous l’agriculture urbaine ?
« Une ville moins polluée, plus humanisée avec moins de voiture pour s’aérer, se ressourcer et avec surtout plus de produits comestibles ! »
Guide rédigé par:
Corentin, Brand Manager, Paris
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Corentin Combalbert travaille dans l’industrie du coworking France depuis maintenant plusieurs années. Son expérience lui a permis d’acquérir de nombreuses compétences et un regard aiguisé sur ce marché qui est encore assez récent. Son poste de Brand Manager chez Deskopolitan lui permet de toucher à tous les aspects du coworking. Il partage ses retours ainsi que ses différentes expériences afin d'améliorer votre qualité de vie au travail et votre productivité.